Maison de Nantes
Alain Barbetorte et la restructuration du duché breton
Après des années de crises et d’invasions, Alain Barbetorte, duc de Bretagne et comte de Nantes, reprend en main le duché et rétablit la stabilité. Pour asseoir son autorité, il prête, un hommage simple (sorte de pacte de non-agression) au roi Louis IV (Louis d’outremer) et devient son allié. En retour, Louis IV ne cherche pas à réintégrer la Bretagne sous son contrôle, permettant ainsi à Alain de renforcer son duché sans intervention franque directe. Une confiance mutuelle s’est installée entre eux, car ils ont appris à se connaître à la cour anglaise durant leur exil.
Les rivalités entre les grandes familles bretonnes persistent, s’inscrivant pleinement dans le paysage politique de l’époque. Comme en Francie, la Bretagne traverse son lot de vicissitudes et de frondes seigneuriales. Peu à peu, la féodalité s’impose, transformant le duché en un territoire où l’organisation repose sur un réseau de seigneuries locales, chaque seigneur pouvant être à la fois vassal et suzerain selon les terres concernées.
Dans ce contexte, les activités maritimes déclinent, et la Bretagne se tourne vers une gestion plus rurale, centrée sur l’exploitation des terres.
L’héritage celtique a perduré en Cornouaille et en Domnonée, moins exposées aux structures féodales. Bien que les seigneurs bretons y exercent leur pouvoir, la propriété paysanne reste largement répandue, assurant aux paysans une certaine autonomie. En Bretagne, l’allod (terre possédée librement sans suzerain) est plus répandu qu’ailleurs, contrastant avec le système féodal où la majorité des terres sont des fiefs soumis à l’autorité d’un seigneur. Cette particularité a longtemps favorisé une organisation agraire plus autonome. Si le nombre d’alleutiers diminuera progressivement, celui des tenanciers augmente grâce aux grands défrichements et à l’abolition progressive du servage. Les tenanciers sont des paysans qui exploitent une terre appartenant à un seigneur, moyennant un loyer ou des corvées. Ainsi, la Bretagne se distingue comme une terre où le servage disparaît plus tôt que dans d’autres territoires.
La Bretagne après Alain Barbetorte : une succession chaotique
À la mort d’Alain II, dit Barbetorte, en 952, la Bretagne entre dans une période d’instabilité. Son fils Drogon de Bretagne, né de son union avec une femme de la maison de Blois, lui succède alors qu’il n’a que deux ans. Trop jeune pour gouverner, il est placé sous la tutelle de son oncle Thibaut Ier de Blois, qui administre le duché comme régent avant que sa mère se remarie à Foulques II d’Anjou. Drogon meurt prématurément à Angers en 958.
Montée en puissance de Conan le Tort
Après la disparition de Drogon, une lutte de pouvoir éclate. Ses demi-frères illégitimes, Hoël (960-981) et Guérech (981-988), prennent successivement le contrôle du comté de Nantes, mais leur autorité est contestée par Conan le Tort, comte de Rennes, fils de Bérenger, qui cherche à unifier la Bretagne sous son influence.
Conan aurait fait assassiner Hoël en 981, puis favorisé la mort de Guérech en 988, éliminant ses principaux adversaires. En 990, la disparition d’Alain de Nantes, fils de Guérech, lui permet de s’imposer comme duc de Bretagne, mettant fin à l’héritage direct d’Alain Barbetorte et inaugurant une nouvelle dynastie.
Maison de Rennes
Fils de Juhel Bérenger, Conan le Tort s’empare de Nantes et y fait construire le château du Bouffay. Aujourd’hui disparu, son emplacement est uniquement rappelé par le nom d’une place au cœur de la ville. Il confie l’administration de Nantes à l’évêque Orscand de Vannes et étend son autorité sur Rennes, Nantes et Vannes, devenant ainsi le seigneur le plus puissant de Bretagne. Son bref règne (990-992) jette les bases de la dynastie ducale, renforçant son prestige par d’importantes donations à l’abbaye du Mont-Saint-Michel, où il est inhumé.
Geoffroy Ier, fils de Conan le Tort et d’Ermengarde d’Anjou, renforce la dynastie en épousant Havoise de Normandie, issue de la prestigieuse lignée des ducs normands. Fille de Richard Ier et sœur de Richard II, elle est aussi la grand-tante de Guillaume le Conquérant, consolidant ainsi les liens entre la Bretagne et la Normandie. Le mariage devient une arme diplomatique aussi puissante que l’épée.
À sa mort, en 1008, Geoffroy Ier est inhumé à l’abbaye du Mont-Saint-Michel, suivant la tradition initiée par son père. La régence est alors assurée par Havoise, qui gouverne jusqu’à la majorité de leur fils, Alain III, futur duc de Bretagne.
Alain III (1008-1040), fils de Geoffroy Ier, poursuit avec détermination l’œuvre de ses prédécesseurs. À une époque où les seigneuries locales cherchent à gagner en autonomie, il cherche à équilibrer les forces féodales.
Dans ce contexte, il accorde à son frère Eudes (ou Éon) un apanage sur les terres situées entre la Rance et le Trieux. Cet acte marque la naissance du futur comté de Penthièvre, qui deviendra une puissante entité féodale distincte du duché. Ce titre de comte de Penthièvre traversera les siècles jusqu’à devenir un symbole plus honorifique sous l’Ancien régime.
Le dernier duc de Penthièvre : un titre honorifique
À propos, saviez-vous que le dernier duc de Penthièvre fut Louis-Jean-Marie de Bourbon (1725-1793), un prince issu de la maison de Bourbon et petit-fils légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan ?
Bien que ce titre fût symbolique et honorifique, il ne posséda jamais de résidence en Bretagne. Louis-Jean-Marie de Bourbon fut l’un des hommes les plus riches d’Europe et possédait de vastes domaines, dont le château de Rambouillet, où il fit construire en 1780 une fabrique, la Chaumière aux Coquillages, destinée à émerveiller la princesse de Lamballe, sa belle-fille.
Mais revenons à l’histoire bretonne…
La fragmentation du duché et les résistances féodales
Bien qu’Alain III tente de structurer le duché, certains territoires échappent encore à son autorité. Les terres de Porhoët restent sous l’autorité de la puissante famille des Rohan, tandis que Tréguier, Léon et Cornouaille conservent une forte indépendance.
Pour renforcer les alliances féodales, il épouse Berthe de Blois, fille du comte Eudes II de Blois, puissant seigneur franc, consolidant ainsi l’ancrage du duché parmi les grandes familles.
De cette union naissent :
Conan II de Bretagne (1040-1066), qui succèdera à son père
Havoise de Bretagne, qui épouse Hoël II de Cornouaille.
L’ambition normande d’Alain III
À la mort de Robert II de Normandie en 1035, la Normandie se retrouve sous la tutelle d’un enfant de huit ans, Guillaume le Bâtard, futur Conquérant. Dans cette période d’incertitude, Alain III de Bretagne, neveu du défunt duc, voit une opportunité inespérée.
Officiellement, il se présente comme le protecteur de son jeune cousin, garant de la stabilité du duché normand. Mais derrière cette façade bienveillante, son objectif est clair : étendre son influence sur la Normandie.
Richard Ier de Normandie, grand-père de Guillaume, était aussi le grand-père maternel d’Alain III. Ce lien familial lui confère une autorité naturelle, qu’il tente d’exploiter pour s’imposer comme maître du duché. Il mobilise ses forces, espérant rallier les barons normands inquiets face à la minorité de Guillaume.
Une fin brutale et inattendue
Alors qu’Alain III met tout en œuvre pour consolider son emprise, la résistance des seigneurs normands et les alliances tissées autour de Guillaume compliquent ses plans. Juste au moment où son influence semblait sur le point de s’étendre, il meurt subitement en 1040, sans doute empoisonné, à seulement 32ans, lors d’une campagne militaire en Normandie. Il a été inhumé à l’Abbaye de la Trinité de Fécamp.
Sa disparition brutale laisse la Bretagne à son destin, alors que Guillaume deviendra le Conquérant.
Conquête de l’Angleterre et « l’honneur de Richmond »
En 1066, lorsque Guillaume le Conquérant entreprend la conquête de l’Angleterre, les Bretons jouent un rôle clé, constituant plus d’un tiers de son armée. Nombre d’entre eux sont issus des familles nobles du duché de Bretagne, venues appuyer l’expansion normande en tant que vassaux ou alliés militaires.
Parmi leurs chefs figurent au moins deux cousins de Guillaume au troisième degré, dont Alain le Roux, neveu d’Alain III et fils d’Eudes de Penthièvre. Chevalier de premier plan, il commande les troupes bretonnes au sein de l’armée normande et se distingue lors de la bataille d’Hastings.
Pour récompenser sa bravoure et sa fidélité, Guillaume lui attribue l’un des plus prestigieux fiefs d’Angleterre : « l’honneur de Richmond », qui deviendra le comté de Richmond. Situé principalement dans le Yorkshire, ce domaine est l’un des plus riches de l’Angleterre normande, offrant des revenus considérables à ses seigneurs.
En accordant « l’honneur de Richmond », Guillaume le Conquérant était loin d’imaginer que ce geste, en apparence anodin, deviendrait un symbole du pouvoir, influençant durablement l’entrelacement des destins de la future Angleterre et de la Bretagne. Bien plus qu’une simple récompense féodale, ce don incarna une clé stratégique dans l’évolution politique et territoriale des deux régions.
Fin de la maison de Rennes
En 1066, à la mort de Conan II sans héritier direct, son beau-frère Hoël II, comte de Cornouaille, hérite du pouvoir grâce à son mariage avec Havoise de Bretagne, sœur de Conan. Cette transition marque une rupture dynastique : la lignée ducale de Rennes s’éteint, laissant place à la maison de Cornouaille, qui prend le contrôle du duché. Contrairement à ce qui se passait dans le royaume de France, la coutume bretonne n’excluait pas les filles des successions.
Maison de Cornouaille
Hoël II et l’essor de la Maison de Cornouaille
Imaginez une Bretagne en pleine effervescence, où alliances, révoltes et ambitions dessinent l’histoire. Au cœur de cette période se trouve Hoël II, fils d’Alain Canhiart comte de Cornouaille et de Judith de Nantes. Hoël joue un rôle central dans l’unification des territoires bretons sous la Maison de Cornouaille. En effet il a hérité du comté de Cornouaille en 1058 à la mort de son père et en 1063, il hérite également du comté de Nantes après le décès de sa mère. Seul le comté de Rennes échappe à son autorité ayant été donné en viager au comte Geoffroy Grenonat, fils illégitime d’Alain III, retenez bien son nom.
La maison de Cornouaille : confusion entre le temporel et le spirituel
Alain Canhiart, père de Hoël, descend d’une lignée peu conventionnelle. Son père, Benoît, illustre parfaitement la fusion entre pouvoir religieux et politique : à la fois comte et évêque de Cornouaille, il exerce ces deux fonctions tout en étant marié, une situation exceptionnelle mais pas inédite. Il confie l’évêché de Quimper à son fils Orscand II, qui, à son tour, le transmet à l’un de ses propres fils.
Sa mère, Guigoëdon, est la fille d’Orscand Ier, surnommé ‘Orscand le Grand’, évêque de Vannes, grand allié de Conan Le Tort. Cette ascendance renforce encore l’influence de la famille, qui s’impose autant dans les sphères religieuses que politiques. Avant la réforme grégorienne du XIe siècle, cette dualité entre clergé et noblesse confère à la maison de Cornouaille une autorité considérable, lui permettant de façonner durablement le paysage politique breton.
Hoël II confirma d’importantes donations aux abbayes bretonnes et plaça les siens à des postes clés pour asseoir l’influence de sa famille. Son frère Guérech devint évêque de Nantes en 1059, et leur cadet Benoît, abbé de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, accéda à l’évêché de Nantes en 1081 après la mort de Guérech.
Par ces décisions, Hoël II ne se contentait pas d’assurer la pérennité de sa lignée : il inscrivait durablement la maison de Cornouaille dans la structure du pouvoir du duché, prouvant que le contrôle de l’Église était bien plus qu’une question de foi, mais un levier politique essentiel.
Un règne marqué par des défis
Au début de son règne, Hoël bénéficie d’une relative tranquillité. Mais, après la mort d’Havoise, très vite, des révoltes nobles surgissent.
En 1075, Raoul de Gaël, comte de Norfolk et de Suffolk, figure influente parmi les Bretons établis en Angleterre, est chassé du royaume par Guillaume le Conquérant après avoir pris part à la révolte des comtes. Banni, il trouve refuge en Bretagne, où il possède des terres dans le Porhoët. À Rennes, il est accueilli par Geoffroy Grenonat, et ensemble, avec le soutien de Geoffroy Boterel, fils d’Eudes Ier de Penthièvre, ils fomentent une révolte avec l’aide des Francs.
En 1076, Dol-de-Bretagne tombe aux mains des insurgés, poussant Hoël à demander l’aide de Guillaume le Conquérant, qui cherche à en découdre avec Raoul de Gaël. Ce dernier assiège la ville, mais face à l’intervention du roi des Francs, Philippe Ier et du duc d’Aquitaine, il est contraint de se retirer. Dol reste alors sous le contrôle des rebelles. Ce n’est qu’en 1077, grâce à son fils Alain Fergent, que Hoël parvient à écraser la révolte. La mort d’Eudes Ier de Penthièvre en 1079 marque la fin définitive des troubles.
Dernier Duc Bretonnant
À la mort de Hoël II en 1084, son fils Alain IV Fergent, âgé de 24 ans, prend la tête du duché de Bretagne. Son surnom, Fergent (le grand brave), illustre son tempérament résolu et combattif.
Alain IV Fergent, né en Cornouaille, est également le dernier duc à parler breton. Il préfère séjourner dans la partie bretonnante du duché dont il était originaire et habite volontiers dans ses châteaux d’Auray et surtout de Carnoët non loin de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé régie par son oncle Benoît. Dès le début de son règne, il cherche à se faire reconnaître à Rennes, mais il se heurte à un adversaire déterminé : Geoffroy Grenonat. Porté par une rancœur tenace, il s’accroche à Rennes avec une obstination inébranlable, refusant de céder la moindre parcelle de son pouvoir.
Fergent n’a d’autre choix que d’agir. Il met le siège devant Rennes, mobilise ses troupes et finit par s’emparer de la ville. Grenonat, vaincu, est emprisonné à Quimper, où il s’éteint quelques mois plus tard.
Avec sa disparition, Fergent récupère le comté de Rennes, qui lui revient légitimement en vertu du viager. Dans le même temps, il envoie son frère Mathias s’occuper de Nantes. À la mort de ce dernier, en 1103, le comté de Nantes rejoint lui aussi le domaine ducal. Agrandissant le patrimoine ducal.
Dol-de-Bretagne : Une ville convoitée
En 1085, Guillaume le Conquérant lance une attaque sur Dol-de-Bretagne, une ville clé à la frontière entre la Bretagne et la Normandie. Désormais, il agit en conquérant et non plus en allié.
Alain IV galvanise ses hommes et marche sur Dol, déterminé à défendre Dol des Normands. Pris de court par la résistance bretonne, Guillaume se voit contraint de battre en retraite. Mais loin de se limiter à une victoire militaire, cet affrontement révèle une force plus profonde : dans ces instants cruciaux, une cohésion patriotique propre aux Bretons transcende les divisions pour préserver leur indépendance.
Plutôt que de prolonger la guerre, les deux hommes négocient la paix, scellée par le mariage d’Alain IV avec Constance de Normandie, fille de Guillaume. Cette alliance, mal accueillie en Bretagne, suscite la méfiance de la noblesse locale. Constance, peu appréciée, meurt trois ans plus tard, en 1090.
Un Nouvel Équilibre avec l’Anjou
Devenu veuf, Alain IV Fergent cherche désormais une nouvelle alliance pour renforcer sa position politique et se tourne vers l’Anjou, comme l’avait fait avant lui Conan Ier de Rennes. Le comte Foulques IV d’Anjou, un personnage puissant mais controversé, avait une fille à marier : Ermengarde d’Anjou.
Figure respectée de son époque, Ermengarde était admirée pour son intelligence et sa culture. L’évêque et écrivain Marbode de Rennes vantait sa grande beauté et son esprit aiguisé dans ses écrits. Son mariage avec Alain IV en 1093 renforçait les liens entre la Bretagne et l’Anjou. Ils étaient cousins au 4ᵉ degré.
Cette parenté éloignée s’explique par les alliances dynastiques précédentes. Conan Ier de Rennes, ancêtre d’Alain IV, avait lui aussi épousé une Ermengarde d’Anjou, issue de la même famille angevine. Bien que la réforme grégorienne ait interdit les unions entre proches parents, ce mariage semble avoir été toléré, soit par une absence d’application stricte, soit par une négociation avec l’Église.
Avec Ermengarde à ses côtés, Alain IV s’entoure d’une conseillère avisée, dont l’intelligence et l’influence laisseront une empreinte durable.
Une duchesse face au défi du pouvoir
Désormais et pendant plusieurs années, la Bretagne va connaître une période de stabilité. Lorsqu’Alain IV Fergent quitte la Bretagne en 1096 pour participer à la Première Croisade, la duchesse Ermengarde d’Anjou se retrouve à la tête du duché, avec deux enfants dont Conan III l’héritier ; une situation rare pour une femme à cette époque. Pourtant, loin d’être contestée, elle est respectée et soutenue par les nobles bretons.
Ermengarde assure la stabilité du duché pendant cinq ans, évitant les troubles internes grâce à une politique diplomatique efficace. Sa réputation d’équité et de bienveillance lui vaut l’admiration du peuple et le respect des seigneurs bretons, qui saluent son intelligence politique et sa capacité à préserver l’harmonie, aussi bien face aux tensions internes qu’aux menaces extérieures.
Un engagement social et religieux
Bien que son pouvoir soit avant tout politique, Ermengarde se distingue également par son engagement social. Elle soutient les abbayes et les monastères qui viennent en aide aux plus démunis, renforçant ainsi les liens entre le duché et l’Église. Son attachement à la charité et à la justice sociale fait d’elle une figure admirée par les populations rurales, qui voient en elle une souveraine plus proche de leurs préoccupations quotidiennes.
Des retrouvailles difficiles et un départ vers Fontevraud
À son retour de croisade en 1101, Alain IV Fergent et Ermengarde d’Anjou eurent d’autres enfants. Pourtant, dès 1105, Ermengarde commença à remettre en question son mariage. Attirée par la vie religieuse et troublée par les nouvelles exigences ecclésiastiques, elle s’inquiétait des implications de son union avec Alain IV, son cousin au 4ᵉ degré, alors que la réforme grégorienne venait d’étendre l’interdiction des mariages consanguins aux couples ayant un lien de parenté inférieur au 7ᵉ degré. Partagée entre ses devoirs de duchesse et son aspiration spirituelle, elle se trouvait face à un dilemme profond.
Dans cette quête spirituelle, elle se rapprocha de Robert d’Arbrissel, un prédicateur breton réformateur qui avait fondé en 1101 l’abbaye de Fontevraud, un monastère ouvert aux femmes de haut rang. Cet établissement offrait à Ermengarde l’opportunité de renouer avec la spiritualité et de s’éloigner des obligations du pouvoir ducal.
Toutefois, en 1108, l’Église intervint. Selon certaines sources, un concile aurait exigé qu’elle retourne auprès de son époux, bien que la pression exacte exercée par l’institution religieuse reste inconnue. Elle retourna vivre aux côtés d’Alain IV.
La fin du règne d’Alain IV et l’ascension de Conan III
Alain IV Fergent, affaibli par la maladie, décide d’abdiquer en 1112 au profit de son fils Conan III, puis se retire à l’abbaye Saint-Sauveur de Redon, où il termine ses jours dans la prière et le recueillement, il y est enterré en 1119 à l’âge de 59 ans.
Son abdication n’est pas seulement un choix personnel : une fois de plus, Alain IV place sa confiance en Ermengarde, qui joue un rôle actif dans la transition et la transmission du pouvoir. Elle soutient, son fils, Conan III, lui offrant des conseils stratégiques et consolidant ses alliances politiques. En 1118, Conan III épouse Mathilde d’Angleterre, fille illégitime du roi Henri Ier d’Angleterre, après cinq ans de fiançailles. Malgré cette union, il reste fidèle au roi des Francs Louis VI et participe à plusieurs campagnes militaires à ses côtés contre l’Angleterre.
Au début des années 1130, Ermengarde, inspirée par Bernard de Clairvaux, embrasse la vie monastique en rejoignant une maison cistercienne. Pourtant, vers 1132-1133, elle quitte à nouveau cette existence pour entreprendre un voyage en Terre Sainte. Là-bas, elle s’investit activement dans les affaires de l’Église tout en entretenant des liens étroits avec son demi-frère, devenu roi de Jérusalem par son mariage.
Après deux ans passés à l’abbaye de Saint-Sauveur de Nablus, en Palestine, elle revient en France et continue à jouer un rôle de conseil auprès de son fils Conan III. Elle décèdera le 1er juin 1146 à l’âge d’environ 78 ans.
Les Plantagenêt s’imposent à la Maison de Cornouaille
L’héritage disputé de Conan III et les intrigues bretonnes
Sur son lit de mort en 1148, Conan III prit une décision surprenante en écartant son fils Hoël III de la succession du duché, affirmant qu’il n’était pas son héritier légitime. À la place, il choisit sa fille Berthe, mariée à Eudes II de Porhoët, un seigneur breton influent. Ce choix stratégique permit de consolider le duché en s’appuyant sur une alliance interne solide et sur un dirigeant mieux accepté par la noblesse bretonne que son fils, d’autant que Berthe avait déjà un héritier, fils de son précédent mariage avec Alain le Noir comte de Cornouaille, issu de la maison de Penthièvre, son cousin au quatrième degré.
Hoël, jugé impopulaire parmi les nobles, représentait un risque pour la stabilité politique de la Bretagne. En préférant Berthe, Conan III chercha à éviter des troubles internes et à préserver l’unité du duché face aux puissances rivales, notamment l’Anjou et la Normandie. Son choix entraîna néanmoins des tensions et des luttes de pouvoir après sa mort.
Eudon de Porhoët, second époux de Berthe, assura la régence, garantissant un pouvoir temporaire jusqu’à ce que Conan IV soit en âge de gouverner. Fils de Berthe et d’Alain III le Noir de Cornouaille, son premier époux, Conan IV hérite non seulement du duché de Bretagne, mais aussi de titres prestigieux. Il devient seigneur de l’Honneur de Richmond en Angleterre, une possession stratégique pour les relations franco-anglaises, ainsi que comte de Cornouailles, sans oublier les vastes ressources financières qui accompagnent ses domaines.
Toutefois, comme c’est souvent le cas dans les partages de pouvoir où certains héritiers sont exclus, cette décision engendre des tensions et des rivalités. Une fois majeur, Conan IV entre en conflit avec son beau-père, Eudon, qui tarde à renoncer à sa régence. Contre toute attente, Conan s’allie à son oncle déshérité, Hoël III, pour renverser Eudon. Mais l’alliance échoue : vaincu en 1154, Conan IV est contraint de fuir en Angleterre.
Hoël III conserva le comté de Nantes jusqu’en 1156, mais son impopularité et l’instabilité politique entraînèrent une révolte des Nantais, qui le chassèrent, comme son père l’avait redouté. Il fut remplacé par Geoffroy VI d’Anjou, surnommé Plantagenêt, probablement en référence à la fleur qu’il affectionnait le genêt.
Plantagenêt, Bretagne et pouvoir : Un royaume façonné par la légende
Henri II d’Angleterre, fils de Geoffroy V d’Anjou et de Mathilde l’Emperesse, fille du roi Henri Ier d’Angleterre, revendiqua le trône d’Angleterre face à Étienne de Blois, qui l’avait usurpé. À 17 ans, il devint duc de Normandie, puis hérita du comté d’Anjou en 1151. Cette même année, il épousa Aliénor d’Aquitaine, récemment séparée de Louis VII. Après une campagne militaire en 1153, Étienne fut contraint de reconnaître Henri comme son successeur par le traité de Wallingford. Henri monta sur le trône d’Angleterre en 1154.
Les Plantagenêt sont des Angevins, une lignée forgée dans le sang et les alliances. Si Henri II porte la couronne anglaise, c’est grâce à mère, Mathilde, petite-fille de Guillaume le Conquérant, dont l’héritage lui a ouvert les portes du pouvoir. Mais son règne ne fait que commencer, et la Bretagne, insoumise, reste son maillon faible. Il ne peut la dompter que par la force, et pour cela, il s’appuie sur les descendants des barons bretons ayant trouvé richesse et gloire aux côtés de Guillaume lors de la bataille d’Hastings en 1066.
Henri II n’est pas seulement un conquérant, mais un souverain façonnant son propre destin à l’image des légendes. Par ses campagnes, il consolide son pouvoir sur le Pays de Galles, l’Écosse et une partie de l’Irlande, étendant progressivement son empire. Pourtant, au-delà des batailles, il perçoit un autre levier d’influence : la communication, notamment à travers le mythe du roi Arthur.
À la cour d’Angleterre, depuis le début du XIIᵉ siècle, une légende prend de l’ampleur. Geoffroy de Monmouth, écrivain visionnaire, transforme Arthur, dont l’aura a traversé les siècles, en un souverain d’exception : un roi idéal, symbole de chevalerie. Peu à peu, les nobles anglo-normands s’approprient cette figure, y voyant un modèle capable de cimenter l’unité du royaume. Henri II comprend alors le puissant levier politique que représente le mythe arthurien.
Ainsi s’impose la légende des Plantagenêt, dépassant les frontières de la Grande-Bretagne pour légitimer leur emprise sur la Petite Bretagne. Face à eux, Philippe-Auguste, roi de France, se présente comme le successeur indirect du glorieux Charlemagne. Ne pouvant revendiquer un ancêtre anglais aussi prestigieux, Henri II façonne sa propre lignée : il se proclame l’héritier du roi Arthur.
L’Honneur de Richmond : un atout stratégique des Plantagenêts
En Angleterre, Conan IV trouve refuge et soutien grâce à un héritage précieux : l’Honneur de Richmond. Ce vaste domaine, constitué de terres riches situées principalement dans le Yorkshire, lui est confirmé par Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre. Henri II, souverain habile et stratège redoutable, reconnaît en Conan un allié de valeur dans sa quête pour étendre son influence sur le duché de Bretagne, une région clé dans l’échiquier politique.
Henri II, dont l’empire s’étend de l’Angleterre à l’Aquitaine, en passant par la Normandie et l’Anjou, protège Conan IV et lui permet de retourner en Bretagne en 1156. Fort de cette alliance, Conan évince Eudon de Porhoët et reprend le duché. Cependant, cette victoire, obtenue sous l’ombre protectrice du roi anglais, marque le début d’une dépendance envers l’Angleterre.
Un jeu de pouvoir déséquilibré
En 1158, le décès de Geoffroy VI, frère cadet d’Henri II Plantagenêt, marque la disparition d’un acteur essentiel du pouvoir angevin. Comte d’Anjou et du Maine, il avait obtenu le comté de Nantes en 1156 grâce au soutien de son frère et à la faveur d’un soulèvement des habitants.
À la mort prématurée de Geoffroy VI, le comté de Nantes, laissé sans héritier direct, redevient une terre disputée. Henri II, s’estimant son successeur légitime, récupère l’Anjou et le Maine tout en revendiquant immédiatement Nantes. Mais Conan IV, désireux d’intégrer cette région à son duché de Bretagne, tente à son tour de s’en emparer.
Cependant, cette initiative heurte les ambitions d’Henri II, qui considère Nantes comme une possession stratégique essentielle pour maintenir son influence en Bretagne et dans l’ouest de la France.
En 1158, en représailles, Henri II confisque l’Honneur de Richmond et mène une expédition sur la Bretagne pour affirmer son autorité. Face à cette démonstration de force, Conan IV se soumet à Avranches et abandonne ses revendications sur Nantes, qu’Henri II rattache directement à son domaine. Cet épisode marque un tournant décisif, réduisant l’indépendance bretonne et renforçant l’emprise des Plantagenêts sur le duché.
En 1160 Conan IV de Bretagne se marie à Marguerite de Huntingdon, une princesse écossaise. Elle était la sœur du roi Malcolm IV d’Écosse. Ce mariage, probablement arrangé ou approuvé par Henri II Plantagenêt, renforçait les liens entre la Bretagne et l’Écosse, tout en consolidant l’influence angevine sur le duché.
Une indépendance sacrifiée pour des ambitions dynastiques
Quelques années plus tard, Henri II poursuit son ambition de domination sur la Bretagne. En 1166, il contraint Conan IV à abdiquer en faveur de sa fille Constance, alors âgée de cinq ans, et arrange ses fiançailles avec son propre fils, Geoffroy Plantagenêt, âgé de huit ans. Constance est élevée en Angleterre. En échange de cette union dynastique, Conan récupère l’Honneur de Richmond, tandis que le duché passe sous tutelle anglaise. En 1181, Geoffroy Plantagenêt épouse Constance et devient officiellement duc de Bretagne. Bien qu’il soit vassal de la couronne anglaise, il prend fait et cause pour l’indépendance du duché. Henri II conserve la gouvernance de la Bretagne jusqu’à la majorité de Geoffroy et lui cède également l’Honneur de Richmond après le décès de Conan IV en 1171.
Les nobles bretons avaient accepté Geoffroi II parce qu’il partageait leur volonté d’indépendance, qu’il n’avait pas la brutalité meurtrière de son père et qu’il n’a pas été un souverain docile, il s’est opposé à son propre père soutenant la cause bretonne contre la domination anglaise. Même si certains seigneurs, comme Eudes de Porhoët ou Guiomarch du Léon, lui livrent une guerre acharnée, ils ne parviennent pas à remettre en cause son autorité.
Constance de Bretagne : Duchesse, stratège et gardienne de l’indépendance
Son accession au pouvoir
À la mort de Geoffroi II en 1186, Constance de Bretagne s’impose naturellement comme duchesse. Quelques mois plus tard elle donne naissance à un fils posthume. Son nom claque comme un coup de tonnerre au cœur du duché, annonçant une destinée hors du commun : Arthur.
Un nom chargé d’espoir pour la Bretagne. Henri II voulait imposer le sien, mais les barons bretons, dans un élan de défiance, valident celui du légendaire roi Arthur. Son souvenir incarne la grandeur et l’indépendance de l’Angleterre face aux Saxons ; désormais, il pourrait devenir le symbole de la libération bretonne face aux Plantagenêt. Un symbole, un défi, une proclamation silencieuse de résistance. Tout le duché exulte : Arthur naît sous le signe de la révolte, porté par une légende qui refuse de s’éteindre. Mais ce choix bouleverse la succession des Plantagenêt, car à cet instant, Arthur est le seul petit-fils de lignée masculine. Ce n’est plus seulement la domination des Plantagenêt qui est en jeu, mais aussi la transmission de tout leur empire.
Constance en tant que duchesse n’est pas contestée au sein du duché, car elle n’est pas seulement la veuve du duc, mais aussi l’héritière légitime en tant que fille unique de Conan IV. Elle exerce son pouvoir sans contestation des nobles bretons, affirmant pleinement son autorité sur le duché jusqu’à l’arrivée d’Henri II, le grand-père mécontent.
Henri II arrive en Bretagne, bien décidé à placer l’enfant sous sa tutelle. Il exige des barons qu’ils lui jurent fidélité et s’engagent à protéger et servir Arthur sous son autorité. Mais Constance s’interpose.
Dans un monde régi par les ambitions masculines, Constance, duchesse trop jeune pour gouverner seule, ose pourtant tenir tête au roi d’Angleterre. Elle sait que, s’il prend l’enfant, il l’arrachera à sa terre natale et brisera son avenir pour mieux le plier à sa volonté. Henri II a le droit de le réclamer, mais Constance a le courage de dire non. Face à cette résistance inattendue, le roi réagit : il emmène en Angleterre Aliénor, la sœur aînée d’Arthur, en otage—une monnaie d’échange destinée à asseoir la domination Plantagenêt sur la Bretagne.
Un fragile équilibre s’installe. La Bretagne sera sous l’autorité toute relative de Constance et d’Arthur, mais évolue sous l’administration mise en place par Henri II Plantagenêt, qui veille à préserver son emprise tout en laissant à Constance le soin de gérer les querelles internes et les relations avec l’Église, dont l’influence reste déterminante dans l’organisation politique et sociale du duché. L’avenir du duché se joue dans les coulisses d’un pouvoir où chaque mouvement peut renverser l’échiquier.
Pour les Bretons, Arthur est plus qu’un enfant. Il est un espoir, une figure de résistance contre la domination anglaise, un prince né sous le poids d’un héritage mythique. La légende laisse croire que le roi Arthur n’est pas vraiment mort et qu’il reviendra pour délivrer sa terre envahie.
Une duchesse face aux ambitions Plantagenêt et capétienne
En 1188, Henri II force Constance à un nouveau mariage, l’unissant à Ranulf de Chester, un de ses fidèles les plus loyaux, de 10 ans son cadet. C’est est un personnage considérable en Angleterre par ses possessions, mais aussi par ses pouvoirs en Normandie. Sans doute une sorte de chantage afin que constance puisse garder Arthur sous sa garde mais rester sous l’emprise de ce Ranulph. Cependant, loin de se soumettre, Constance gouverne seule car elle parvient à éloigner son mari imposé de la bretagne avec l’aide des barons, et conserve la tutelle d’Arthur, son fils et héritier.
Constance et l’éducation d’Arthur
Constance gouverne avec en ligne de mire la transmission du pouvoir à Arthur. Son fils est préparé à succéder, comme en témoigne son association à l’exercice du pouvoir, notamment par la signature de six chartes communes. En intégrant Arthur aux actes officiels dès son jeune âge, elle façonne l’avenir du duché sous son autorité, tout en restant une vassale respectueuse du roi Henri II.
Affaibli par des conflits avec ses fils et la guerre contre Philippe Auguste, Henri II subit une lourde défaite en 1189. Trahi par Richard Cœur de Lion, il se réfugia au château de Chinon, où il mourut le 6 juillet 1189. Aliénor d’Aquitaine, qui avait soutenu la révolte de ses fils contre Henri II, avait été emprisonnée pendant 15 ans sur ordre de son mari. À sa mort, elle fut libérée et retrouva son influence, jouant un rôle clé dans le règne de Richard et le destin d’Arthur.
Constance doit désormais composer avec le nouveau roi, Richard Cœur de Lion, qui reprend à son compte la politique bretonne de son père. Le compromis établi entre Henri II et Philippe Auguste, roi de France, pour la garde des deux enfants de Constance et de Geoffroy est reconduit. Aliénor reste sous le contrôle de son oncle en Angleterre et Constance garde Arthur à ses côtés. L’éducation d’Arthur est alors confiée à Ghénetoc, évêque de Vannes, qui joue un rôle clé dans sa protection et son éducation.
En 1190, profitant de l’absence de Richard Cœur de Lion et de Philippe Auguste, partis en croisade, Constance bénéficie de six années de calme et de stabilité pour gouverner la Bretagne. Elle s’appuie sur les barons bretons pour administrer le duché et met en place plusieurs réformes économiques. Elle développe de nouveaux marchés et réglemente les droits liés aux fours, moulins et diverses taxes commerciales. Son influence s’étend également aux affaires judiciaires.
La capture de Constance et l’exfiltration d’Arthur
Durant cette période de croisade, les barons bretons se rendant à une assemblée à Rennes, s’arrêtent à Saint-Malo-de-Beignon, à la lisière de la forêt de Brocéliande, et proclament Arthur duc de Bretagne. Cette décision marque une rupture avec l’autorité anglaise et affirme officiellement le jeune prince comme héritier légitime du duché.
A son retour de croisade, en 1196, Richard Cœur de Lion intervient personnellement, Il convoque Constance en Normandie. Veut-il lui demander des comptes sur l’assemblée de rennes ou Arthur se fit reconnaître comme Duc ou cherche-t-il à récupérer son neveu pour le mettre sous sa coupe ?
En vassale respectueuse, Constance répond à la convocation. À peine arrivée à Pontorson, elle est emprisonnée par son mari, Ranulph de Chester, au château de Saint-James de Beuvron, qui lui appartient. Les motivations de Ranulph dans ce guet-apens, manifestement orchestré par Richard, restent floues : a-t-il été poussé par l’appât du gain ou une charge offerte en récompense ?
Pendant ce temps, les barons bretons se divisent entre fidélité à Constance et loyauté envers Richard. Un Conseil de Bretagne se forme autour d’Arthur, entamant les premiers pourparlers pour libérer la duchesse. Richard, faisant traîner les négociations, en profite pour envahir la Bretagne, cherchant à capturer Arthur. Tous les chroniqueurs de l’époque s’accordent sur la brutalité extrême des troupes de Richard.
Refusant de livrer Arthur, les barons bretons déploient tous leurs moyens pour libérer Constance. Certains vont jusqu’à offrir des otages en échange de sa libération, tandis que d’autres organisent l’exfiltration d’Arthur vers Paris, où Philippe Auguste l’accueille sous sa protection et l’élève aux côtés de son propre fils, au château de Vincennes, où il restera environ deux ans. Richard a perdu. Constance est libérée à la condition de suivre les avis de richard dans son gouvernement.
Constance reprend son indépendance
Après sa libération, Constance profite de sa liberté retrouvée pour faire annuler son mariage avec Ranulph de Chester, affirmant ainsi son autorité et reprenant pleinement le contrôle du duché sans être liée à un époux imposé par les Plantagenêts, mais….
Richard Cœur de Lion meurt le 6 avril 1199. Son règne, marqué par des exploits militaires et de longs conflits avec Philippe Auguste, s’achève brutalement. Son frère, Jean sans Terre, récupère le trône d’Angleterre, avec l’appui de sa mère Aliénor d’Aquitaine, et écarte Arthur de la succession royale. Tout semble alors concourir au tragique destin du jeune chevalier.
La même année, Constance épouse Guy de Thouars, issu d’une famille poitevine influente. Bien que le comté du Poitou fasse partie du duché d’Aquitaine, sous domination anglaise, cette union semble davantage répondre à une nécessité politique qu’à une imposition directe de Jean sans Terre. En consolidant son alliance avec une famille puissante, Constance cherche à renforcer sa position et à assurer la sécurité d’Arthur.
Si ce mariage lui offre une relative stabilité, la Bretagne demeure sous tension, prise entre les ambitions de Philippe Auguste et de Jean sans Terre. Constance gouverne le duché jusqu’à son décès à Nantes, le 5 septembre 1201, à l’âge de 40 ans.
De son union avec Guy, elle donne naissance à deux filles : Alix, née en 1200, qui sera ultérieurement reconnue héritière légitime du duché, et Catherine, sans doute née en 1201.
Une nouvelle page s’ouvre. Après la disparition de sa mère, Arthur, bien qu’à peine âgé de 14 ans, est investi duc de Bretagne. L’âge consensuel de la majorité, fixé à 15 ans, est aboli afin d’éviter une régence.
Le mariage stratégique de Philippe Auguste et la rupture du traité de Goulet
Philippe Auguste, qui avait soutenu Arthur dès 1196, change de stratégie en 1200 et conclut avec Jean sans Terre le traité du Goulet. Dans ce traité, Philippe Auguste reconnaît Jean comme le successeur légitime de Richard Cœur de Lion. Cet accord marque une reconnaissance, temporaire, du pouvoir de Jean en échange de terres dans le Vexin Normand et d’un paiement conséquent à la couronne française.
Par ce traité Philippe Auguste récupère la tutelle d’Arthur et marie son fils Louis VIII à Blanche de Castille fille de Jean sans Terre.
Cependant, après ce traité, en 1202, Philippe Auguste change de position et soutient à nouveau Arthur 1er de Bretagne, en échange d’un hommage simple.
Ce revirement s’explique par plusieurs facteurs : une opportunité politique, la volonté d’affirmer sa suzeraineté sur la Bretagne, mais aussi les erreurs diplomatiques de Jean sans Terre, qui fragilisent sa position après l’accord.
Désormais majeur à 15 ans, Arthur n’est plus sous la tutelle de Philippe Auguste. Le 14 avril 1202, il refuse de rendre hommage à Jean en Normandie, affirmant ainsi son indépendance.
La fin tragique d’Arthur et d’Aliénor
Déterminé à asseoir son autorité, Arthur lance en 1202 une campagne militaire pour reconquérir les territoires que Philippe Auguste lui a attribués après les avoir repris à Jean sans Terre pour félonie. Il appartient désormais au jeune duc de Bretagne de les reconquérir. Soutenu par Philippe Auguste, il assiège Mirebeau, où s’est réfugiée sa grand-mère, Aliénor d’Aquitaine.
Mais l’expédition tourne au désastre : Jean sans Terre mène une attaque éclair et capture Arthur ainsi que plusieurs nobles bretons. Le jeune duc est d’abord emprisonné à Falaise, avant d’être transféré à Rouen, où il disparaît mystérieusement en 1203. La plupart des historiens s’accordent à dire qu’il aurait été assassiné sur ordre de Jean, voire même de sa propre main, scellant ainsi la fin tragique d’un enfant qui se prénommait Arthur.
Sa sœur Aliénor, quant à elle, retenue captive en Angleterre, même après la mort de Jean sans Terre, demeure prisonnière jusqu’à son décès en 1241, à Bristol. Sa vie a été sacrifiée aux ambitions territoriales des rois anglais.
Le destin d’Arthur, jeune héritier breton porteur de grands espoirs, devient un symbole durable de la fragilité des alliances et des ambitions royales. Sa captivité, marque profondément la mémoire collective bretonne, renforçant le sentiment de perte et d’injustice. Cet épisode inspire même des œuvres culturelles, comme la chanson Arthur Plantagenet du groupe breton Tri Yann.
Le rêve politique de Constance
La mort de Constance, en septembre 1201, l’épargne de cette terrible épreuve. Son ambition politique avait toujours été de concilier deux aspirations que la rivalité entre les rois de France et d’Angleterre rendait incompatibles : faire de son fils un duc de Bretagne indépendant, mais aussi l’héritier—non pas du royaume d’Angleterre, mais d’une partie des possessions continentales des Plantagenêts.
Ce rêve s’est heurté à la versatilité du roi de France vis-à-vis de la Bretagne, mais aussi à l’influence déterminante d’Aliénor d’Aquitaine, qui refusa qu’Arthur hérite de ses terres en aquitaine.
Les réformes des Plantagenêt en Bretagne
L’histoire des Plantagenêt en Bretagne ne se résume pas aux tragédies entourant la succession d’Arthur Ier. Leur règne marque une transformation profonde du duché, structurant durablement son administration, sa noblesse et son économie.
L’une des réformes majeures est « l’Assise au comte Geoffroi » de 1185, qui instaure le droit d’aînesse pour les barons afin de stabiliser les successions et limiter les querelles dynastiques.
Avant cette réforme, la noblesse bretonne était morcelée, avec de nombreuses familles de sieurs et d’écuyers vivant parfois dans des conditions modestes, voire pauvre et très souvent à la campagne, nous pouvons les comparer à la gentry anglaise. En instaurant le droit d’aînesse, Geoffroi cherche à éviter le morcellement des grands fiefs, à réduire les conflits de succession et à renforcer l’autorité ducale face aux ambitions des seigneurs locaux.
Cette nouvelle organisation féodale bouleverse l’ordre établi. Face à des terres insuffisantes pour assurer leur subsistance, les cadets de ces anciens lignages guerriers sont contraints de renoncer à leur mode de vie ancestral. Sans ressources, ils n’ont d’autre choix que de troquer leur épée contre de nouvelles voies de survie : le notariat, le commerce ou un beau mariage avec une riche roturière (paysans aisés, commerce, négociants etc…).
Une administration renforcée
Sous l’influence des Plantagenêt, huit sénéchaux sont mis en place, chargés de la gestion judiciaire, financière et militaire du duché. Ces fonctionnaires jouent un rôle clé dans la consolidation du pouvoir breton, encadrant l’aristocratie et facilitant la centralisation des décisions. Ce modèle est copié sur le modèle anglo-normand. Pourtant, certaines grandes familles bretonnes, les Rohan, Laval, Châteaubriant et Clisson—parviennent à préserver une part de leur autonomie, jouant habilement avec les tensions franco-anglaises pour maintenir leur influence locale.
La gestion des finances ducales se perfectionne, permettant une meilleure organisation des revenus et des impôts. Ce processus aboutira à la création de la Chambre des comptes de Bretagne en 1365, un organe essentiel pour contrôler les finances ducales, assurer une répartition équilibrée des ressources et limiter les abus.
Un idéal de gestion rigoureuse, censé garantir la transparence. Loin des principes affichés, l’habileté comptable a toujours su écrire sa propre vérité surtout en ces temps-là.
L’essor d’une marine bretonne puissante
Sous l’impulsion des Plantagenêt, la marine bretonne connaît un essor considérable, jouant un rôle stratégique dans la consolidation du duché. En Développant des échanges commerciaux avec l’Angleterre, l’Irlande et la façade atlantique.
Il renforce la défense côtière contre les attaques de pirates et les flottes rivales. Pour cela, les marchands naviguant le long des côtes bretonnes doivent s’acquitter de diverses taxes maritimes, essentielles au financement de leur protection. Parmi elles figurent les « brefs » de Bretagne, un système de réglementation publique instauré dans le duché entre le XIIe et le XVe siècle. Destinés à indemniser les navigateurs en cas de naufrage, ces brefs fonctionnaient comme une forme d’assurance, remplaçant progressivement le droit de bris. Ce dernier, autrefois accordé aux seigneurs côtiers, leur permettait de revendiquer les cargaisons échouées.
En 1199, sous l’autorité des Plantagenêt, le port de Saint-Malo devient un point stratégique des échanges entre la Bretagne, l’Angleterre et l’Irlande. Les marchands anglais, notamment ceux transportant du vin et du sel, doivent payer un droit de passage, garantissant leur protection contre les pirates et pillages.
Ce système renforce la sécurité du commerce et accroît l’influence du duché breton, qui s’impose comme un acteur clé du commerce maritime européen. Les ports bretons, tels que Saint-Malo et Brest, prospèrent, attirant les marchands et dynamisant l’économie locale.
La chute de l’emprise Plantagenêt sur la Bretagne
Au début du XIIIᵉ siècle, les Plantagenêt, maîtres d’un vaste empire s’étendant de l’Angleterre aux terres françaises, voient leur domination vaciller sous la pression du roi de France, Philippe Auguste. Exploitant les instabilités politiques et dynastiques, ce dernier mène une offensive décisive contre les territoires sous contrôle anglais.
En 1204, la conquête de la Normandie marque un tournant : en privant les Plantagenêt de ce bastion stratégique, Philippe Auguste affaiblit leur position en Bretagne et les pousse à l’isolement. La situation s’aggrave avec la défaite de Jean sans Terre à la bataille de Bouvines en 1214, événement clé qui entraîne la perte de nombreuses possessions continentales de la couronne anglaise.
Privés de leur influence directe et politiquement affaiblis, les Plantagenêt ne parviennent plus à imposer leur autorité sur la Bretagne. Le duché s’intègre progressivement dans l’orbite du royaume de France, mettant fin à près d’un siècle de domination anglaise sur la région.
Les premiers ducs capétiens
Après la mort d’Arthur Ier, la Bretagne se retrouve sans souverain. Nobles et prélats se réunissent à Vannes pour désigner un successeur légitime. La couronne revient alors à Alix de Thouars, âgée de trois ans, fille de Constance de Bretagne et de Guy de Thouars, son troisième époux.
Héritier de la lignée des Penthièvre, Henri d’Avaugour avait été initialement choisi pour épouser Alix de Bretagne. Issu d’une famille puissante et allié du roi Philippe Auguste, il semblait être un prétendant idéal. Cependant, après la mort de son père en 1212 et celle du père d’Alix en 1213, le roi jugea imprudent de confier la Bretagne à un enfant de sept ans. Il préféra alors son cousin au deuxième degré, Pierre de Dreux, qui devint duc sous le nom de Pierre Ier de Bretagne, également appelé Pierre Mauclerc.
Pierre de Dreux fut le premier duc de Bretagne à prêter un hommage lige au roi de France, un serment absolu l’engageant à servir le roi sans exception. Cet acte rompit avec la tradition bretonne, où les ducs ne prêtaient qu’un hommage simple et personnel, leur permettant de conserver une certaine indépendance et de gérer leurs alliances en cas de conflit entre leurs suzerains.
Pierre de Dreux et l’apparition de l’hermine en Bretagne
Pierre de Dreux, arrive en Bretagne avec son propre blason, qui sera adopté par Alix de Thouars. À l’époque, seul l’aîné d’une famille noble hérite des armes familiales, tandis que les cadets doivent les briser en ajoutant un élément distinctif.
Pierre, en tant que cadet, choisit une brisure en forme de moucheture d’hermine, symbole de noblesse et de pureté. Certains chevaliers recouvraient également leur bouclier de fourrure d’hermine, renforçant son association avec le prestige et la protection.
Ainsi, l’hermine fait son entrée sur les armes de Bretagne, où elle se transforme progressivement en un emblème identitaire incontournable, adopté officiellement par les ducs bretons dans les siècles suivants.
Pierre de Dreux : Ambition, Conflits et Héritage
Un duc ouvert aux évolutions économiques et hostile envers le clergé séculier.
Dès le début de son règne, Pierre de Dreux mène une lutte acharnée contre les grandes familles bretonnes. Sa première cible est Henri d’Avaugour, il revendique les terres de Penthièvre en vertu de son mariage avec Alix de Bretagne.
Pourtant Henri d’Avaugour avait des droits légitimes sur les terres de Penthièvre et de Tréguier en tant qu’héritier direct par la lignée masculine des ducs de Bretagne de la maison de Rennes. Ces droits provenaient de son père, le comte Alain, qui avait reçu ces terres par succession. De plus, Geoffroy III Boterel, dernier seigneur de Penthièvre, avait légué ces terres à Alain, père d’Henri, par testament, confirmant ainsi leur appartenance à la maison d’Avaugour.
Cependant, cette donation fut contestée par Pierre de Dreux, qui argua d’irrégularités dans la succession. Pierre de Dreux s’appuya sur le fait que Geoffroy III Boterel avait spolié sa fille Éline, épouse de Pierre de Tournemine et les enfants de la duchesse Constance, héritiers légitimes selon une autre interprétation des règles de succession. En conséquence, après plusieurs procès, Pierre de Dreux s’empare des châteaux de Penthièvre et de Tréguier, et redistribue certains domaines à ses alliés, notamment Olivier Tournemine, héritier de Pierre de Tournemine. Il laisse à Henri que le comté de Goëlo et réintègre l’apanage de Penthièvre dans le domaine ducal.
Sous tutelle de ses oncles paternels, Geslin de Coëtmen, contrairement à Conan de Léon, n’a pas réagi activement à la confiscation des terres de Penthièvre et de Tréguier par Pierre de Dreux. Il semble avoir adopté une position passive face à cette situation. Tandis que Conan de Léon se révolte contre le duc et est pourchassé par ses troupes, Geslin reste en retrait et continue à exercer son rôle de tuteur d’Henri d’Avaugour jusqu’en 1222. Cette absence de réaction de la part de Geslin contribue à la perte définitive des terres, réduisant considérablement l’héritage d’Henri. Ce dernier passera sa vie à tenter de récupérer ces terres, mais sans succès. Cette spoliation marque le début d’une rivalité durable entre la maison d’Avaugour et les ducs de Bretagne de la maison de Dreux.
En 1216, Pierre de Dreux lance une offensive contre le Léon, s’empare de Lesneven, bastion stratégique, et dépouille Conan de ses terres. Ce dernier continuera de défendre les droits de son neveu contre la politique expansionniste du régent, mais son opposition se heurte à la puissance ducale.
La rébellion menée par Conan et d’autres seigneurs bretons prend fin en 1222, lors de la bataille de Châteaubriant, où Pierre de Dreux écrase les forces adverses. Vaincu, Conan Ier de Léon doit reconnaître la souveraineté du duc sur la région, marquant un tournant dans l’histoire de la Bretagne féodale.
En 1217, c’est à l’évêque de Nantes qu’il s’en prend, lui contestant une partie de ses droits temporels (pouvoirs et privilèges comme posséder des terres et les administrées, percevoir des impôts et rendre la justice). L’évêque, dépossédé de ses droits, fait appel au concile provincial, puis au pape, qui excommunie celui que l’on commence à appeler Mauclerc, le « mauvais clerc ». Le duc, est également menacé d’une sentence d’interdit, une mesure de pression très forte, car elle privait la population de la vie religieuse essentielle car interdisait aux prêtres de célébrer les offices religieux et de donner certains sacrements. Le duc finit par composer avec l’évêque et lui rend ses droits (août 1221).
En 1221, veuf, Pierre de Dreux devient régent du duché de Bretagne pendant la minorité de son fils Jean Ier, assurant la gouvernance du territoire et veillant à sa stabilité jusqu’à ce que celui-ci soit en âge de régner.
En 1222, Pierre continue et revendique la châtellenie de Ploërmel, qu’il considère comme un bastion stratégique pour défendre le duché. Mais en février, il est pris de court par une attaque d’Amauri de Craon, seigneur de Mayenne, qui réclame l’héritage de son frère, autrefois investi de Ploërmel.
Affrontant cette menace, Mauclerc riposte et grâce au soutien d’Alain de Rohan ainsi que sur l’appui des seigneurs de Haute-Bretagne, dont André de Vitré, son beau-frère, Raoul de Fougères et Jean de Dol. Il remporte une victoire éclatante à Châteaubriant, le 3 mars 1222. À l’issue du conflit, Ploërmel est définitivement rattaché au domaine ducal, consolidant ainsi l’emprise de Pierre de Dreux sur la région.
En 1223, il fait bâtir la forteresse de Saint-Aubin-du-Cormier, un bastion stratégique pour contrôler les routes entre Rennes et Fougères. Il obtient, par des échanges avantageux pour lui, les terres appartenant à son beau-frère André de Vitré, qui avait reçu la forêt de Rennes en dot lors de son mariage avec Catherine de Bretagne, sœur d’Alix. Cette appropriation entraîne des tensions entre les deux hommes qui aura une conséquence importante quelques années plus tard.
Veuf depuis plusieurs années, il envisage d’épouser Jeanne de Flandre, héritière d’un puissant fief. Cependant, un obstacle se dresse : Jeanne est déjà mariée, son époux est retenu prisonnier dans la tour du Louvre. Certains théologiens jugent cette union invalide, et le Pape en aurait prononcé la nullité. Pierre croit alors la voie libre, mais la cour de France, informée de ses intentions, réagit rapidement et remarie Jeanne… avec son propre mari récemment sortie de prison.
Cette amère déception pousse Pierre Mauclerc à reconsidérer ses alliances. De mauvais gré, il participe à la deuxième croisade albigeoise. Sa mauvaise volonté est évidente. Devant Avignon, il retrouve deux seigneurs aussi mécontents que lui, Thibaut de Champagne et Hugues de Lusignan, le perpétuel révolté. Tous trois s’unissent et décident de s’allier à Henri III (avril-septembre 1226), roi d’Angleterre.
Ayant quitté le Languedoc, Pierre de Dreux traite avec le roi d’Angleterre ; il lui promet sa fille Yolande de Dreux en mariage et s’engage à l’aider militairement s’il descend sur le continent. En échange, Henri III lui rend le fameux comté de Richmond (octobre 1226) dont les revenus très important rivalisent avec ceux de toute la Bretagne. Louis VII, averti de la conspiration, intervient à Rome pour empêcher ce nouveau projet de mariage. Mais le 8 novembre, la mort du roi de France permet aux coalisés de se croire déjà vainqueurs.
L’attitude énergique de la reine, Blanche de Castille, déçoit l’espoir des révoltés, car elle fait couronner son fils, Louis IX (Saint Louis) à Reims.
Les coalisés espéraient le secours du roi d’Angleterre ; mais celui-ci était d’un caractère trop indécis pour passer sur le continent. En vain, Pierre de Dreux multiplie les ambassades. Henri III se contente de lui envoyer son frère Richard et quelques troupes. Le mariage du roi et de Yolande de Bretagne échoue définitivement devant l’opposition de Rome.
En 1230, Saint-Louis proclame Pierre de Dreux déchu du bail de Bretagne pour cause de trahison et en récupère la régence. A ce moment, se rallie à la couronne française des familles influentes comme son beau-frère André de Vitré, qui avait une revanche à assouvir, Fougères et Châteaubriant, qui possèdent des forteresses stratégiques et des troupes importantes. Des garnisons royales y sont placées. Cela limite les marges de manœuvre de Pierre et réduit son soutien local.
En bloquant ses actions en Bretagne, son alliance avec l’Angleterre s’affaiblit. Une trêve de 3 ans est signée.
En juin 1234, bien qu’abandonné de tous ses vassaux, et n’avait reçu d’Henri III qu’une aide insuffisante. Il essaie pourtant de résister aux deux armées royales qui attaquent simultanément sur 2 fronts. Finalement, Pierre de Dreux est vaincu. Le duc de Bretagne perd non seulement son comté de Richmond, mais aussi ses terres de France.
La soumission de Mauclerc, en 1234, est suivie de la revanche de ses vassaux. Ceux-ci obtiennent du roi de France l’institution d’enquête (1235) ; toutes les grandes réformes juridiques de Mauclerc, diminution des libertés féodales, institution du droit de bail, etc.… sont abolies.
En 1237, son fils Jean Ier, surnommé Jean le Roux, majeur est couronné duc de Bretagne, prenant officiellement les rênes du duché. Son accession marque le début d’un règne placé sous le signe de la consolidation et de la prospérité.
Son engagement lors de la croisade et sa fin tragique
En 1248, Pierre rejoint la Septième Croisade, menée par Louis IX (Saint Louis). Pierre, autrefois adversaire du pouvoir royal, est devenu progressivement un allié stratégique.
Pierre de Dreux meurt en 1250, en mer, alors qu’il tente de regagner la Bretagne après avoir été libéré de sa captivité lors de la Septième Croisade.
Ce que l’on peut retenir de son règne c’est qu’il a introduit une politique inédite en Bretagne, visant à renforcer l’autonomie des villes et à stimuler leur développement.
En 1214, il accorde des franchises aux habitants de Lamballe, leur offrant des privilèges économiques et administratifs.
En 1225, il fonde la ville de Saint-Aubin-du-Cormier, autour de sa forteresse stratégique, et accorde aux habitants une charte de franchises, ratifiée à Nantes par les principaux seigneurs bretons.
Après 1225, il crée la ville du Gâvre, près de Blain, pour sécuriser la frontière bretonne au sud-est, en lui accordant des privilèges similaires à ceux de Saint-Aubin-du-Cormier.
Contrairement à ses prédécesseurs, Pierre Mauclerc adopte une approche innovante et personnelle, contribuant à l’essor urbain et économique de la Bretagne et son mécénat artistique.
Si vous allez visiter la cathédrale de Chartres (Eure et Loir) vous pourrez admirer la rosace sud de la cathédrale de Chartres, offerte par Pierre de Dreux, entre 1221 et 1230, témoignage de son influence et de son mécénat artistique. Ce vitrail, situé dans la façade sud du transept, présente une riche iconographie, et sous ses lancettes, on peut voir les armoiries de Pierre de Dreux ainsi que celles de sa défunte épouse, Alix de Thouars.
Jean Ier de Bretagne : un règne de stabilité et de prospérité
Jean Ier de Bretagne, surnommé Jean le Roux, règne de 1237 à 1286. Il épouse Blanche de Navarre, fille de Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Navarre en 1236.
Un règne pacifié
Contrairement à son père, Pierre de Dreux, Jean Ier privilégie la diplomatie. Il évite les tensions avec la couronne capétienne et entretient de bonnes relations avec Saint Louis (Louis IX), assurant ainsi une période de paix et de prospérité pour la Bretagne.
Un pouvoir ducal consolidé
Jean Ier renforce son autorité face aux grands seigneurs bretons et mène une politique ambitieuse d’expansion du domaine ducal en Bretagne, utilisant des procédures judiciaires habiles et des acquisitions stratégiques.
Il acquiert Brest, les douanes de Saint-Mathieu, le château du Conquet, Plougonvelin, Plouarzel, Saint-Renan, Muzillac, la vicomté de Gourin, la châtellenie d’Hédé, La Roche-Derrien, la seigneurie de Lanvaux, ainsi que Dinan et la commune de Léhon après un long procès.
Un essor économique remarquable
Sous son règne, la Bretagne connaît un développement économique soutenu. Les grandes villes comme Nantes, Rennes et Vannes prospèrent grâce aux échanges commerciaux, notamment avec l’Angleterre. Les ports bretons deviennent des centres stratégiques, favorisant le dynamisme économique.
Une administration modernisée
Jean Ier améliore la gestion du duché en structurant l’administration, en organisant la fiscalité. Ces mesures permettent une meilleure stabilité politique et économique.
Un prestige renforcé par les croisades
En 1270, Jean Ier accompagne Saint Louis lors de la huitième croisade, affirmant son engagement chrétien et consolidant ses liens avec la couronne française. Cette participation renforce son prestige et son influence auprès des puissances européennes.
Un héritage solide
À sa mort en 1286, Jean Ier laisse à son fils Jean II un duché stable, prospère et bien gouverné. Grâce à sa politique, la Bretagne est désormais prête à affronter les défis du XIVe siècle.
Jean II de Bretagne : un règne de consolidation
Jean II de Bretagne, duc de 1286 à 1305, s’inscrit dans la continuité de son père en consolidant la stabilité du duché et en renforçant son intégration au royaume de France. Son règne se caractérise par une gouvernance pragmatique qui assure une administration efficace et durable. Il privilégie une politique d’apaisement avec la couronne française, tout en préservant les intérêts bretons, ce qui contribue à ancrer définitivement le duché dans l’espace politique du royaume.
Une politique diplomatique équilibrée
Jean II de Bretagne renforce habilement sa position politique grâce à son mariage avec Béatrice d’Angleterre, fille du roi Henri III. Cette union stratégique lui assure des liens privilégiés avec l’Angleterre, tout en préservant l’indépendance du duché. Par cette alliance, il maintient une ouverture vers les grandes puissances européennes et sécurise ses intérêts face aux dynamiques féodales de l’époque. Il aura un fils Arthur II de Bretagne.
Ce mariage lui offre un prestige diplomatique tout en lui permettant de reprendre le comté de Richmond, un territoire souvent disputé entre l’Angleterre et la Bretagne. Grâce à cette possession, il conserve des terres anglaises et bénéficie des rentes qui y sont associées.
Un engagement militaire auprès du roi de France
Malgré ses liens avec l’Angleterre, il apporte son soutien à Philippe IV le Bel dans la lutte contre les Flamands. Sa participation à la bataille de Mons-en-Pévèle en 1304 contribue à la victoire française, renforçant son prestige auprès du roi de France.
L’élévation de la Bretagne au rang de pairie
En 1297, le duché de Bretagne est élevé au rang de pairie par Philippe IV, accordant à Jean II un statut privilégié au sein du royaume de France.
Une gouvernance modernisée
Jean II restructure l’administration du duché, garantissant une période de stabilité et de prospérité. Il met en place plusieurs réformes essentielles.
Une fiscalité mieux encadrée
Jean II améliore la collecte des impôts en instaurant des procédures plus rigoureuses, réduisant fraudes et détournements. Il s’appuie sur des agents ducaux chargés de superviser les prélèvements et de garantir une répartition équitable des revenus.
Une gestion des taxes plus équilibrée
Le duc réorganise les taxes pour qu’elles soient proportionnelles aux revenus et aux terres possédées, limitant les abus des prélèvements seigneuriaux. Cette régulation évite un fardeau fiscal excessif sur les populations rurales, contribuant à une croissance économique plus stable.
Un soutien aux institutions religieuses
Jean II favorise l’essor du clergé breton et apporte son appui à Saint Yves, figure de la justice et de la charité, dont l’influence sera reconnue par sa canonisation après sa mort.
Les tensions avec l’Angleterre
En 1296, Jean II prend ses distances avec la cour anglaise et perd temporairement le comté de Richmond. Il parvient cependant à le récupérer en 1304, affirmant ainsi son indépendance politique.
Arthur II de Bretagne et les États de Bretagne
Arthur II de Bretagne (1261-1312) fut duc de Bretagne de 1305 à 1312. Fils de Jean II de Bretagne et de Béatrice d’Angleterre, il hérita du duché après la mort de son père.
Son règne fut relativement court, 7ans, mais marqué par des réformes administratives importantes, dont les assemblées de Bretagne qui préfigura les États de Bretagne, qui jouèrent un rôle clé dans la gouvernance du duché jusqu’à leur disparition en 1789.
En 1309, Arthur II de Bretagne convoqua une assemblée à Ploërmel, marquant une première dans l’histoire du duché. Cette assemblée réunissait les principaux représentants de la noblesse, du clergé et des villes bretonnes pour discuter des affaires du duché. Jusqu’alors, les décisions politiques étaient prises principalement par le duc et ses conseillers proches, sans consultation formelle des différentes classes sociales. En instaurant cette assemblée, Arthur II posa les bases d’une gouvernance plus structurée et participative, permettant aux élites bretonnes d’exprimer leurs préoccupations et d’influencer les décisions du duché.
La même année, Arthur II de Bretagne mit fin à un conflit ancien entre le duché et l’Église concernant les prélèvements religieux, notamment les dîmes et les taxes ecclésiastiques. Ce différend remontait à son grand-père et concernait plusieurs pratiques imposées par le clergé, comme le jugement des morts (taxe prélevée lors des décès) et le past nuptial (taxe sur les repas de noces). Arthur II conclut un accord avec le pape Clément V, entériné par l’assemblée de Ploërmel. Cet accord permit de réduire certaines taxes et de tolérer les dîmes perçues par les prêtres. Par exemple, un droit réduit de 8 deniers fut accordé aux prêtres pour l’extrême-onction, mais les plus pauvres (ceux dont les biens meubles valaient moins de 30 sols) en furent dispensés. Grâce à cette réforme, Arthur II apaisa les tensions entre le duché et l’Église, tout en préservant les revenus ecclésiastiques.
Arthur II épousa Marie de Limoges, puis Yolande de Dreux, et eut plusieurs enfants, dont Jean III de Bretagne et Jean de Montfort, qui jouèrent un rôle clé dans la guerre de Succession de Bretagne après sa mort.
Il mourut en 1312 au château de L’Isle, et fut inhumé aux Cordeliers de Vannes, dans un tombeau de marbre qui fut vandalisé pendant la Révolution.
Un duc discret, mais dont la descendance marqua profondément l’histoire bretonne !
Jean III de Bretagne : un règne de stabilité avant la crise
Jean III de Bretagne, fils d’Arthur II, surnommé Jean le Bon, règne de 1312 à 1341. Il épouse successivement Isabelle de Valois, Isabelle de Castille et Jeanne de Savoie. Ces unions, bien que politiquement avantageuses, ne lui donnent aucun héritier, ce qui entraînera une grande crise successorale à sa mort.
Un duché pacifié et prospère
Jean III maintient une stabilité politique en évitant les conflits majeurs. Grâce à cette paix, le duché continue son développement économique et social, laissant aux Bretons le temps de bâtir et de commercer.
Jean III de Bretagne, conscient de l’enjeu dynastique que représente l’avenir du duché, décide en 1317 de restituer l’apanage de Penthièvre à son frère Guy, époux de Jeanne d’Avaugour. Cette décision marque un tournant politique, puisqu’elle permet de restaurer un patrimoine autrefois spolié aux ancêtres de Jeanne.
Cette restitution répond à une logique stratégique : Jean III, dépourvu d’héritier direct, cherche à consolider la position de sa famille en Bretagne. En redonnant à Guy une autonomie territoriale, il lui garantit une assise solide, renforçant ainsi l’influence des Penthièvre face aux autres grandes maisons bretonnes.
La coutume bretonne est mise par écrit vers 1320. Ce recueil codifie les règles juridiques et coutumières du duché, assurant une meilleure organisation administrative et une gouvernance plus stable. Il fixe des principes essentiels en matière de justice, succession et organisation féodale, influençant durablement le droit breton jusqu’à la Révolution française.
Jean III et l’hermine comme emblème définitif
L’affirmation de l’identité bretonne
Durant son règne, Jean III prend une décision symbolique forte : il abandonne le blason de Dreux et adopte l’hermine plain, qui devient l’emblème durable de la Bretagne.
Selon la légende, en 1327, Jean III sauve une hermine blanche menacée par des paysans. Impressionné par son refus de traverser un ruisseau pour ne pas salir sa fourrure immaculée, il décide d’en faire l’emblème de la pureté et de la fierté bretonne.
D’autres hypothèses avancent une stratégie politique : rivaliser avec les fleurs de lys de la royauté tout en affirmant l’identité singulière du duché. Alors que les fleurs de lys incarnent le pouvoir royal divin des Capétiens, l’hermine devient le symbole d’une Bretagne autonome.
En se détachant des Dreux, et indirectement de sa belle-mère Yolande et de son demi-frère Jean, comte de Montfort, Jean III inscrit définitivement l’hermine dans le patrimoine breton, en faisant un emblème durable et incontesté.
La Guerre de Succession
Après une période de prospérité, la mort de Jean III en 1341 laisse le duché sans héritier, plongeant la Bretagne dans l’incertitude. Ce vide dynastique déclenche une guerre civile, alors que la Guerre de Cent Ans vient tout juste de commencer.
Deux prétendants se disputent la couronne :
Jeanne de Penthièvre, nièce du duc Jean III de Bretagne, épouse de Charles de Blois, neveu du roi de France Philippe VI, elle défend une intégration plus étroite du duché breton au royaume de France, bénéficiant du soutien direct du souverain français.
Face à elle, Jean de Montfort, demi-frère de Jean III, revendique le duché avec l’appui des Anglais, prônant une Bretagne plus autonome et détachée de l’influence française.
Dans le prochain article, nous reviendrons sur les péripéties du comté de Richmond, objet de manœuvres politiques, ainsi que sur l’âpre combat pour la succession d’un duché laissé vacant.