Cercle Celtique de Rambouill

Nominoë, l'homme par qui tout a commencé...

Selon l’historienne Joëlle Quaghebeur, Nominoë serait le fils de Morvan, un chef breton considéré comme un « roi » et tué en 818 par l’empereur Louis le Pieux. Pourtant, ce dernier lui confie l’administration du comté de Vannes, correspondant approximativement au Morbihan actuel. Un choix qui peut sembler surprenant, puisque Nominoë est le fils d’un ancien adversaire, mais qui s’inscrit dans une stratégie impériale visant à pacifier la région et à éviter de nouvelles guerres coûteuses.

Selon l’historien Jean-Jacques Monnier, cette nomination traduit avant tout une volonté de stabilité plutôt qu’une reconnaissance de l’indépendance bretonne. Bien que Nominoë ne porte pas officiellement le titre de roi des Bretons, il exerce un pouvoir de fait, gouvernant au nom de l’empereur tout en préservant une certaine autonomie. Son statut particulier est matérialisé par le titre de missus imperatoris, créé spécialement pour lui, qui illustre sa position intermédiaire entre vassalité et autorité propre.

Cependant, en 831, son pouvoir reste limité au comté de Vannes, tandis que le rennais et le nantais demeurent sous administration franque (Marche de Bretagne). Sa légitimité auprès des autres nobles bretons, notamment ceux de Cornouaille et de Domnonée, est incertaine. N’étant initialement qu’un émissaire impérial, il doit composer avec les élites locales, qui peuvent se méfier de lui malgré ses origines bretonnes. C’est, sans doute, au fil du temps et des événements qu’il parvient à renforcer son influence, notamment lorsqu’il s’oppose à Charles le Chauve.

Une figure historique aux motivations incertaines

Si Louis le Pieux avait clairement défini ses intentions en confiant un pouvoir à Nominoë, celles de ce dernier restent plus ambiguës. La Bretagne, à cette époque, est une terre instable et convoitée. Rien ne permet d’affirmer que Nominoë ait nourri dès le départ un projet d’indépendance. Ses décisions semblent dictées par les opportunités politiques et militaires plutôt que par une stratégie prédéfinie.

Les récits sur son règne sont rares, notamment ceux d’origine bretonne. Contrairement à Salomon, l’un de ses successeurs, canonisé et abondamment documenté par l’Église, Nominoë ne bénéficie d’aucun témoignage religieux détaillé qui permettrait d’éclairer ses actions. Cette absence de sources directes a conduit à une relecture moderne de son rôle. Peu à peu, l’image d’un héros national breton s’est imposée. Pourtant, cette vision repose parfois sur des anachronismes et des interprétations divergentes. Certains historiens amplifient son influence ; d’autres la minimisent.

Mais ce qui est certain, c’est que Nominoë affermit son emprise sur la Bretagne après la bataille de Ballon. Son ascension repose autant sur ses alliances que sur ses victoires militaires.

840 : mort de Louis le Pieux – tensions et divisions

La disparition de Louis le Pieux entraîne une première fragmentation politique et territoriale de l’Empire franc, désormais partagé entre ses trois fils. Si le titre d’empereur revient à Lothaire, ses frères cadets deviennent rois chacun dans un royaume. Charles le Chauve, le plus jeune, hérite de toute la Francie occidentale… Toute ? Non, en réalité, une irréductible péninsule lui échappe encore.

Face à cette redistribution du pouvoir, Nominoë s’interroge : son autorité sera-t-elle préservée sous ce régime de confraternité ?

D’abord, il soutient Lothaire, l’un des fils de Louis, espérant qu’il garantisse une certaine stabilité. Mais en 841, Lothaire est vaincu par son demi-frère Charles… et tout bascule. Conscient de l’affaiblissement du pouvoir impérial, Nominoë prend une décision audacieuse : il rompt définitivement ses liens avec l’Empire carolingien, déchiré par ses rivalités dynastiques et affaibli par la menace normande. Retournements d’alliances, ralliements spectaculaires, forfaitures caractérisées, trahisons et assassinats politiques se multiplient, tandis que l’Empire se montre incapable de s’opposer à l’émergence de nouvelles formes de gouvernement : les principautés territoriales autonomes, annonciatrices de la dislocation des pouvoirs à l’âge féodal. La Bretagne fut l’une de ces principautés, son émancipation étant simplement plus précoce et son existence plus durable.

Extraite du blog d’Erwan Chartier-Le Floch Histoire de Bretagne

845 : La bataille de Ballon – le déclic pour Nominoë ?

En 841 Charles le Chauve fait une erreur en nommant Renaud d’Herbauges comte de Nantes, après la mort du comte Ricuin. Cette nomination se fait au détriment de Lambert II, qui avait pourtant combattu aux côtés de Charles à la bataille de Fontenoy-en-Puisaye et se considérait comme l’héritier légitime de son père, l’ancien comte Lambert Ier de Nantes. Déçu, Lambert II se rapproche alors de Nominoë, qui est en révolte contre le pouvoir franc.

Le 24 Mai 843, à Messac, Renaud affronte les bretons, deux versions existent sur la bataille : dans l’une, Erispoë, le fils de Nominoë, est vaincu, mais Lambert II prend sa revanche. Dans l’autre, Renaud d’Herbauges attaque et l’emporte au début, avant d’être finalement vaincu. Dans tous les cas, Renaud meurt et Lambert revendique Nantes.

Un nouveau symbole de l’unification des bretons apparaît lors des batailles, la couleur noire sur leurs boucliers et leurs équipements. Ce fait est relaté par le chroniqueur franc Ernold le Noir et le poète Gallois Armes Prydein qui évoquent « les noires armées de la Bretagne Armorique ».

Pendant quelques mois Nominoë va jouer la carte politique, essayant de donner le change à Charles le Chauve, tout en préparant ses troupes. Ainsi, un an plus tard, il va prendre la décision qui va radicalement changer sa vie et celle de la Bretagne.

Été 844 : Charles le Chauve demande à Hervé d’Herbauges, fils de Renaud d’Herbauges, ainsi qu’à Bernard de Poitiers, de sécuriser les frontières de l’Anjou et du pays nantais. Mais à Nantes, Lambert II, guerrier aguerri, refuse de céder sa place. Il attaque Hervé et Bernard, les tue tous les deux et prend le contrôle de la région.

Pendant ce temps-là Nominoë fonce sur Le Mans et razzie complètement la région. Il est sur le point de détruire la ville lorsqu’un message lui parvient : les Vikings sont en Bretagne, et il faut rentrer. Alors cette incursion des hommes du nord est salvatrice pour les Francs qui vont pouvoir se ressaisir.

Pourtant il ne se passe rien, à part une simple lettre envoyée à Nominoë, le sommant d’arrêter ces exactions sous peine d’être excommunié. Est-ce que cela va avoir un effet sur les Bretons ? On n’en sait rien. En tout cas le fait est que l’hiver va se passer plutôt tranquillement.

Au printemps 845, tandis que la sève remonte dans les arbres, insufflant une nouvelle vitalité à la nature, Nominoë reprend la guerre, porté par un élan renouvelé. Comme la sève qui nourrit les branches et fait éclore les bourgeons, sa détermination irrigue les rangs bretons, annonçant un renouveau guerrier face aux Francs. Avec son armée, il marche sur le Poitou, incendie le pays de Mauges et un monastère, puis, sur le chemin du retour, met à sac l’Anjou et la Mayenne.

Charles le Chauve tente de le poursuivre, mais Nominoë est déjà revenu en Bretagne. Alors que des rumeurs circulent, Nominoë serait malade, Charles décide de l’attaquer, commettant ainsi une erreur stratégique : son armée, épuisée et loin de ses bases, est vulnérable.

En novembre 845, près de Redon. Les deux adversaires se font face. La bataille de Ballon commence.

Les troupes franques, bien que lourdement armées, sont mal adaptées aux marécages et au bois. Elles subissent les assauts désorganisés mais redoutablement efficaces des Bretons, montés sur leurs bidets, petits chevaux robustes et agiles, idéaux pour les tactiques de harcèlement et de guérilla. La bataille à durée une journée. La nuit venu, Charles s’en fuit, en laissant ses troupes, jusqu’au Mans. Nominoë le traque et le retrouve. Charles le Chauve n’a pas d’autre choix que de proposer un traité de paix.

Cette victoire est le déclic :

  • L’autorité de Nominoë se renforce.

  • Le pouvoir carolingien en Bretagne vacille.

  • L’expansion bretonne commence.

L’année suivante, un traité de paix est signé. Ses clauses restent inconnues, mais une chose est certaine : Nominoë conserve son autorité. Cette paix fragile sera respectée jusqu’en 849.

Désormais, il ne se contente plus de gouverner en tant que représentant impérial ; il règne en souverain, déterminé à unifier toute la Bretagne. Dans cette logique, il transforme son mode de gouvernance et s’émancipe de l’autorité carolingienne.

848 : cérémonie d’affirmation à Dol

À l’abbaye de Dol, en Domnonée, Nominoë orchestre une cérémonie solennelle. Sans revendiquer officiellement le titre de roi, il se proclame « Dux » (chef militaire), affirmant haut et fort l’autonomie de son territoire et son statut de chef incontesté.

Puis, au cours de la cérémonie, vient un geste audacieux : son front est marqué d’une huile sacrée, symbole de son autorité et de sa légitimité. Ce rite confère à son pouvoir une dimension quasi-sacrée, brouillant la frontière entre chef militaire et souverain légitime. C’est un geste fort qui montre qu’il ne se considère plus seulement comme un simple comte sous domination franque, mais comme un souverain breton à part entière. Son sacre informel scandalise Rome et les Francs.

Avec cette cérémonie, la rupture avec l’autorité impériale carolingienne est désormais irréversible.

Quand Nominoë prend le contrôle du clergé breton

Au-delà des conflits militaires, un autre combat se joue : celle de l’influence religieuse. En Bretagne, plusieurs évêques, installés avec l’aval du pouvoir carolingien, servent de relais à l’autorité franque. Mais bientôt, des accusations émergent : ils auraient pratiqué la simonie, troquant des biens spirituels, des sacrements et des charges ecclésiastiques contre de l’argent et des privilèges.

Nominoë y voit une opportunité politique. Avec le soutien de l’abbé Conwoion de Redon, il laisse ces accusations se propager, fragilisant la légitimité des prélats francs. Sollicitée, Rome refuse d’intervenir, jugeant la procédure trop complexe.

Face à cette impasse, Nominoë prend l’initiative. En 849, il convoque un concile près de Redon et destitue plusieurs évêques francs, qu’il remplace par des prélats bretons acquis à sa cause.

Ce geste dépasse le cadre religieux : c’est une rupture politique majeure. En s’assurant le contrôle du clergé breton, Nominoë renforce son pouvoir et affirme que la Bretagne ne relève plus de la tutelle franque.

Offensive, mort de Nominoë, et avènement du premier roi breton reconnu par les Francs

En 849, après la destitution des évêques francs par Nominoë, Charles le Chauve oscille entre apaisement et confrontation. Il cherche à calmer les tensions, mais la guerre semble inévitable. Aussi il avance vers Rennes, renforce la garnison, érigeant une barrière de résistance face aux Bretons, puis se retire. Pourtant, son retrait ne fait qu’annoncer une confrontation imminente, chaque camp s’apprête à frapper.

En 850, la guerre ouverte éclate. Lambert II de Nantes, ancien comte écarté du pouvoir par le roi franc, rallie la cause bretonne et devient un allié stratégique.

Ensemble, ils lancent une offensive décisive : Rennes et Nantes tombent sans résistance, et pour empêcher une reconquête franque, les remparts des villes sont partiellement détruits. Mais cette victoire ne suffit pas. La guerre prend une ampleur inattendue : la Mayenne, l’Anjou et le Maine subissent leur fureur.

Chaque victoire les pousse à aller plus loin, laissant derrière eux un territoire ravagé. Leur campagne semble avoir un nouvel objectif, pourquoi pas Chartres puis Paris, jusqu’au bouleversement brutal d’un événement inattendu : le 7 mars 851, Nominoë meurt soudainement à Vendôme. Son nom s’efface peu à peu de la mémoire collective, avant de ressurgir au XIXe siècle grâce au Barzaz Breiz, recueil de chants historiques bretons rassemblés par Hersart de la Villemarqué.

Mais la lutte se poursuit. Son fils, Erispoë, prend la relève et poursuit l’œuvre de son père. Soutenu par Lambert II de Nantes, il rassemble les forces bretonnes et affronte Charles le Chauve le 22 août 851 lors de la bataille de Jengland, sur la rive gauche de la Vilaine. Au terme de trois jours de combats acharnés, la victoire d’Erispoë est écrasante et contraint Charles le Chauve à négocier. Dès lors, Erispoë peut se dire prince de Bretagne jusqu’au fleuve de la Mayenne. Quelques semaines plus tard, en septembre, Erispoë rencontre Charles le Chauve à Angers et accomplit la dation des mains, rituel médiéval, reconnaissant symboliquement son lien de vassalité envers le roi franc. En retour, Charles lui remet les insignes royaux, consacrant son autorité sur la Bretagne et officialisant son nouveau statut de souverain. Le traité d’Angers vient entériner ce bouleversement historique. Désormais, La Bretagne n’est plus une terre disputée, mais un royaume pleinement reconnu.

Gravure datant de 1810 environ (auteur inconnu)

Erispoë devient ainsi le premier roi de Bretagne reconnu par les Francs, marquant un tournant historique majeur.

Les ambitions d’Erispoë : entre grandeur et tragédie

À partir de 852, Erispoë consolide son autorité sur la Bretagne. Son règne marque une volonté d’unification du territoire breton. Cependant, alors qu’il œuvre à stabiliser son pouvoir, des tensions émergent au sein de la noblesse bretonne. Son cousin Salomon commence à intriguer contre lui…

L’année suivant, un nouveau défi surgit : les Vikings norvégiens, qui avaient déjà pillé Nantes en 843, reviennent semer le chaos. Erispoë réagit rapidement. Grâce à l’alliance diplomatique nouée par son père, Nominoë, il bénéficie du soutien de Cédric, neveu du roi du Danemark. Après plusieurs affrontements, les raids vikings cessent en 855, offrant un répit à la Bretagne.

Avec la menace viking temporairement écartée, Erispoë peut désormais se concentrer sur l’équilibre des forces à l’est face aux Francs. Pour renforcer sa position, il envisage d’unir sa lignée à celle de Charles le Chauve en promettant sa fille à Louis, héritier du trône franc. En signe de bonne volonté, il offre le comté du Mans comme cadeau de fiançailles. Malgré cet accord, le mariage n’a jamais lieu, laissant les tensions entre Bretons et Francs non résolues.

Au sein de la noblesse bretonne, l’inquiétude grandit. Même sans mariage, l’accord avec les Francs est perçu comme une menace pour l’indépendance du royaume. Parmi les mécontents, Salomon, cousin d’Erispoë, voit dans cette situation une opportunité. Animé par l’ambition et convaincu que ce rapprochement met en péril la souveraineté bretonne, il décide d’agir et prépare une rébellion.

En novembre 857, la trahison frappe. Salomon orchestre l’assassinat d’Erispoë, qui se réfugie à l’église de Talensac, près de Redon, pour être sous la protection de Dieu. Mais Alcmar, un Franc exécutant les ordres de Salomon, ne respecte pas ce lieu saint et le poignarde devant l’autel.

Son règne s’achève brutalement. Sans attendre l’approbation de ses pairs ni celle de Charles le Chauve, Salomon s’empare du titre royal, imposant son autorité avec une implacable détermination.

Le règne de Salomon : apogée et déclin de la monarchie bretonne (857–874)

Une expansion territoriale et un pouvoir consolidé

Jouant habilement des alliances, tantôt aux côtés des Normands contre les Francs, tantôt des Francs contre les Normands, Salomon étend son royaume. En 863, en échange d’un tribut resté impayé, il obtient les terres entre la Sarthe et la Mayenne. S’alliant ensuite aux Normands, ils ravagent de vastes territoires francs jusqu’au Mans.

Un nouveau traité est signé en 867, lui accordant le Cotentin ainsi que les futures îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey.

Au cœur de la péninsule, il instaure une cour fastueuse et se fait appeler « roi de toute la Bretagne et d’une grande partie des Gaules », signe de son ambition croissante mais aussi de ses victoires. Il frappe sa propre monnaie, d’or et d’argent, affirmant la souveraineté bretonne et dynamisant le commerce.

L’autonomie politique et religieuse

Parvenu au faîte de sa gloire et désormais politiquement indépendant, Salomon cherche à affranchir l’Église bretonne de la tutelle de l’archevêque de Tours. Dans la continuité de l’œuvre de Nominoë, il fait de Dol la métropole de Bretagne. Cet archevêché ne sera jamais officiellement reconnu par un pape, et ce n’est que sous Napoléon III et l’aval du souverain pontife qu’un archevêché verra enfin le jour à Rennes.

La puissance et les premières fissures

La puissance de Salomon devait causer sa perte. En Bretagne, une aristocratie turbulente supporte mal son autorité. Bien que son règne atteigne son apogée territorialement, les premières fissures internes fragilisent peu à peu son pouvoir. Se tournant vers la foi, il devient un grand mystique et décide de consacrer le reste de sa vie à la prière.

En 874, il confie alors le royaume à son fils Guigon, qu’il place en régence.

Le royaume de Bretagne sous Salomon

L’ombre du passé et le début du déclin

Mais ce revirement ne s’arrête pas là. Dans une décision déroutante, il tente de rétablir les évêques destitués par Nominoë, provoquant une vive opposition. Outrés, les évêques en place mobilisent les nobles les plus influents et dénoncent son incapacité à gouverner. Dans l’ombre, une conjuration se prépare…

Une retraite mystique et un destin tragique

Retiré dans un monastère, Salomon semble avoir choisi une existence hors du siècle, plongé dans une quête spirituelle. Cherchait-il une forme de rédemption ?

Le 28 juin 874, Salomon tombe dans un piège tendu par des seigneurs bretons révoltés, parmi lesquels son gendre Pascweten et Gurwant, gendre d’Erispoë. Un évêque, venu le trouver, lui assure qu’aucun Breton ne lui fera de mal s’il se rend. Rassuré par ces paroles, il sort de son abbaye sans méfiance.

Hélas, à l’extérieur, ses compatriotes le livrent aux Francs. Ses bourreaux, dans un déchaînement de brutalité, lui crèvent les yeux avant de le laisser agoniser deux jours en prison. Finalement, ils l’achèvent, semble-t-il, devant l’autel d’une église… Cela ne vous rappelle-t-il rien ?

Salomon s’est imposé comme un souverain puissant, consolidant l’indépendance du duché tout en cultivant des liens forts avec l’Église. Il a été canonisé en 910 par le pape Anastase III. Son assassinat en 874 a été interprété comme un martyre, ce qui a contribué à sa vénération et à son inscription au martyrologe chrétien contrairement à Erispoë.

Luttes de pouvoir et menace viking

Guigon semble avoir subi le destin tragique de son père. La Bretagne est déchirée par une lutte acharnée entre Pascweten, comte de Vannes, et Gurwant, comte de Rennes. Aucun des deux ne parvient à asseoir durablement son autorité, et le royaume se retrouve divisé en deux : Gurwant gère le Nord, tandis que Pascweten contrôle le Sud.

Leur rivalité laisse la péninsule sans défense, offrant une proie idéale aux pirates vikings. Profitant de cette fragilité, les raids vikings s’intensifient, frappant une Bretagne désorganisée et vulnérable. En 876, Pascweten et Gurwant meurent la même année, l’un au combat, l’autre de maladie. Le duché se retrouve à nouveau sans chef incontesté. Dans ce contexte, Judicaël de Rennes, fils de Gurwant, et Alain, frère de Pascweten, émergent comme les nouveaux acteurs de la reconquête… mais restent profondément divisés.

La victoire de Questembert et l’ascension d’Alain

Puis vient le temps d’une ambition commune. Comme ils l’ont toujours fait, les Bretons s’unissent pour préserver l’autonomie de leur terre, leur Bretagne. Judicaël et Alain scellent enfin une alliance et prennent les armes contre les Vikings, organisant une résistance structurée.

En 888, la bataille de Questembert marque un tournant : Judicaël tombe au combat. Sous la direction d’Alain, un guerrier habile et stratège, les Bretons, enfin rassemblés, chassent les Vikings. Les pirates du Nord ne devaient plus revenir de tout le règne d’Alain, désormais surnommé le Grand.

Le règne d’Alain le Grand

Entre 888 et 907, Alain le Grand gouverne la Bretagne, assurant près de deux décennies de stabilité après une longue période de conflits. Il est le dernier roi breton reconnu comme tel par la monarchie franque. Son pouvoir s’étend au-delà des terres bretonnes traditionnelles (Léon, Domnonée, Cornouaille, Vannetais) pour inclure des territoires francs comme Rennes, Nantes, Coutances et Avranches.

Son royaume reflète une diversité linguistique : une partie est bretonnante, tandis que l’autre parle une langue romane. Le bilinguisme des lettrés du haut Moyen Âge est attesté : ils écrivent en latin, souvent marqué par des spécificités propres à leur langue maternelle, qu’ils maîtrisent tant à l’oral qu’à l’écrit. On sait, par exemple, que l’évêque de Dol était bretonnant et faisait appel à un latimier pour la rédaction des donations de laïcs à l’abbaye. Ce Latimier spécialiste de la traduction facilitait la communication entre les Bretons et les autorités ecclésiastiques, seigneuriales ou étrangères, jouant un rôle clé dans la transmission des informations officielles.

Cette dualité linguistique se retrouve aussi dans les manuscrits retrouvés, dont un fragment d’un traité de médecine bilingue, riche en noms de plantes et de maladies en vieux breton et en latin, ainsi que plusieurs documents juridiques.

La fragmentation du duché et l’échec de Gourmaëlon

À la mort d’Alain le Grand en 907, le duché replonge dans l’instabilité. Son fils Rudalt, bien que mentionné dans certains écrits comme comte de Vannes, ne parvient pas à s’imposer comme roi de Bretagne ou décède également. Même sa fille, mariée à Mathuedoï, comte de Poher et mère d’un fils, ne revendique ni n’obtient le pouvoir.

Etonnamment c’est Gourmaëlon, comte de Cornouaille, qui se distingue. Maître d’un vaste domaine féodal, il manœuvre habilement parmi ses rivaux et s’impose comme prince de Bretagne. Pourtant, son autorité reste fragile : son nom figure dans plusieurs actes officiels, mais toujours comme simple témoin, signe qu’il ne bénéficie pas d’une reconnaissance pleine et entière.

En 913, il trouve vraisemblablement la mort au combat contre les Scandinaves, l’année même où l’abbaye de Landévennec est détruite par les Vikings. Ce drame est un véritable cataclysme pour la Bretagne. Dans ce climat de désordre, les querelles de succession reprennent…

Ainsi se referme l’histoire des premiers rois bretons, un chapitre marqué par des luttes, des victoires et des tragédies, où chaque souverain a tenté d’affirmer l’indépendance de la Bretagne face aux puissances extérieures et intérieures.

L’arrivée des redoutables envahisseurs va profondément bouleverser l’équilibre régional. Une fois encore, les Bretons devront faire front commun pour préserver leur terre et leur identité.

Dans notre prochain article, nous plongerons au cœur de cette période agitée afin de retracer les événements déterminants qui ont marqué cette époque.

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Les Vikings